Problématique d'ensemble



Motivations
Des considérations sociales et pratiques ne sont pas étrangères au motivations qui ont incitées le GIS Sciences de la Cognition à constituer ce groupe de réflexion prospective : l'abus de médicaments psychotropes ou de drogues entraînant une dépendance, les conséquences non directement neurologiques de traumatismes crâniens, le vieillissement, se traduisent par des dysfonctionnements de la cognition qui pourraient aujourd'hui faire l'objet d'études plus poussées et plus fines que par le passé grâce aux progrès enregistrés par la neuropathologie et la neuropsychologie cognitive. En outre, du fait de l'automatisation poussée de nombreuses tâches, de l'isolement des individus, de l'organisation du travail, de la part croissante prise par la conduite automobile et de la démultiplication du pouvoir individuel au travers des machines, les conséquences économiques et sociales des dysfonctionnements de la cognition sont devenues si considérables que leur recensement et la mise au point de "thérapeutiques" devient un enjeu capital.

Cependant, ces préoccupations ne sont pas les seules : aux plans intellectuel et thérapeutique, l'apparition récente d'une psychologie clinique qui fonde la nosographie des maladies mentales sur un recensement des symptômes cognitifs pose des questions importantes en des termes nouveaux. Cela reformule, au moins partiellement, certaines approches thérapeutiques ; cela réconcilie aussi la psychologie de la cognition avec la psychologie du sujet global, ce qui établit des ponts entre psychiatrie et neurosciences.

Approche méthodique: cognition
Notre propos : l'approche cognitive des dysfonctionnements de la cognition. Les termes barbares écorchent un peu. Pour nous y faire, décomposons méthodiquement : approche cognitive, dysfonctionnements de la cognition, cognition... Commençons par la fin, "cognition".

De cognoscere en latin, connaître, la cognition désigne la faculté de connaître, ce qui se décline sur de multiples facultés subalternes du connaître, à savoir, la faculté de lire, de parler, de comprendre, de mémoriser, et, conséquemment, les facultés de perception, de voir, d'entendre, et les facultés de motricité... Encore que là, la frontière entre le cognitif et le non cognitif demeure floue, d'où une question pendante : en quoi la cognition ne recouvre-t-elle pas l'ensemble des affects et des actes du sujet ?

Nous supposerons, pour l'instant, que les actes non intentionnels, c'est-à-dire, qui ne répondent pas à un but fixé consciemment, ou même éventuellement inconsciemment, par la volonté, sortent du champ de la cognition. Ainsi, des actes purement réflexes, si tant est qu'il en existe, sortiront du champ de la cognition. De même, une perception est cognitive si elle répond à un but, parfois inconscient, ce qui fait que la douleur et l'émotion, lorsqu'elles sont ressenties de façon purement passive, ne sont pas à proprement parler cognitives.

Dysfonctionnements de la cognition
Dysfonctionnement : fonctionnement altéré d'un organe, ce qui suppose un fonctionnement correcte. Rapporté aux facultés de lire, de parler, de connaître, cela désignera des troubles de la lecture (alexie), des troubles de la parole (aphasie), des troubles de la connaissance (agnosie...)

Or, si la lecture, la parole, la connaissance, ou plus exactement, la faculté de lire, la faculté de parler, la faculté de connaître apparaissent chacune une, les troubles que présentent ces facultés sont multiples à la fois par leurs manifestations et par leurs origines. Cette multiplicité de déficiences possibles suscite un intérêt soutenu, non seulement parce qu'elle permet de distinguer les pathologies, d'identifier leurs causes et les thérapeutiques appropriées, mais aussi, surtout même pour nous, dans le cadre du GIS Sciences de la Cognition, parce qu'elle renseigne sur les comportements cognitifs normaux, chez les sujets sains, qui ne sont affectés d'aucune déficience.

Approche cognitive
Ce qui caractérise les sciences cognitives contemporaines, ce n'est pas seulement l'objet sur lequel elles portent leur regard, à savoir la cognition, ce n'est pas non plus leur interdisciplinarité : toute une longue tradition positiviste fleurissante à la fin du XIXe siècle, a promu des recherches interdisciplinaires où neurologues, physiologistes, psychologues, psychiatres et philosophes étaient tous convoqués. Pour n'en citer que quelques uns des représentants, parmi les plus illustres, mentionnons Broca, Taine, Charcot, Ribot, Binet, Janet,...

Nées au milieu des années soixante-dix, mais préexistant, de fait, depuis la seconde guerre mondiale, avec la cybernétique, puis avec l'intelligence artificielle, les sciences cognitives sont issues de la rencontre des sciences de l'homme , des sciences du vivant et des nouvelles machines destinées à traiter les informations que sont les ordinateurs. Grâce à ces dernières, il est désormais possible d'effectuer des simulations où les transferts d'énergie et les transferts de matière sont remplacés par des transferts d'information. Dès lors, la simulation n'est plus la réplique physique d'un phénomène, mais son homologue fonctionnel.

Rapporté à la psychologie, ceci signifie que l'on passe d'une étude des phénomènes psychiques, c'est-à-dire de ce qui apparaît, par exemple des souvenirs, des images, des sensations, des sentiments, etc., à l'étude des fonctions (mémoire, vision, sensibilité, affectivité, etc. ) et à leur simulation à l'aide de modèles informationnels puis à leur confrontation avec les données.


La notion de fonction, centrale dans les sciences cognitives, désigne ici une action, ou plus exactement une procédure, pourvue d'une finalité. En conséquence, on ne se contente plus d'observer les propriétés des faits, mais on dégage les mécanismes mis en oeuvre dans la cognition, puis on les simule sur ordinateur, encore que l'homologie informationnelle et sa mise en oeuvre informatique soit souvent plus virtuelle que réelle.

En pratique, indépendamment d'un simulation effective, ceci signifie deux choses : d'une part, une même fonction cognitive, par exemple la mémoire ou la vision, peut être remplie par différentes fonctions (mémoire à court terme, mémoire visuelle, olfactive, vision des couleurs, du mouvement, vision périphérique,etc.), elles-mêmes décomposables récursivement en fonctions élémentaires jusqu'à ce que l'on arrive à des mécanismes physiologiques ou neurochimique parfaitement identifiés.

D'autre part, l'activité cognitive est intentionnelle : une tâche ou une perception, par exemple la vision, ne peuvent être envisagées indépendamment du but (lecture d'un texte, perception de la couleur... ). Les aires cérébrales, sites probables d'une activité cognitive ou d'une fonction intervenant dans la réalisation d'une activité cognitive, les réactions neurochimiques qui servent de support aux processus cognitifs ne sont plus mis en rapport direct avec les phénomènes cognitifs eux-mêmes, mais avec les fonctions responsables de ces phénomènes.

Les conséquences pratiques sont de deux ordres. En premier lieu, les phénomènes cognitifs sauraient être étudiés indépendamment du contexte et de l'intention du sujet ; un protocole expérimental, quel qu'il soit, doit donc intégrer la consigne et la volonté du sujet. En second lieu, le fonctionnement cognitif normal, ou, plus exactement, les fonctions cognitives, peuvent être affectés de façon semblable par des lésions cérébrales, par des psychotropes ou des médicaments et par des chocs affectifs. Sans réduire la psychopathologie à la physiologie ou à la neurochimie, cette mise en parallèle des traumas, d'ordre neurophysiologique, neurochimiques ou affectifs, provoquant les mêmes perturbations, ouvre un espace de collaboration, que l'on espère fécond, entre neurologues, psychiatres et neuropharmacologues.

Approche cognitive des dysfonctionnements de la cognition
En quoi l'approche cognitive des dysfonctionnements de la cognition est-elle prometteuse ? La fin du paragraphe précédent nous a déjà donné quelques prémisses de réponse : si les troubles de la cognition qui accompagnent des traumatismes cérébraux, par exemple, des lésions frontales, l'abus de médicaments, la prise de psychotropes, et des pathologies psychiatriques comme la dépression ou la schizophrénie, sont identiques, on peut dresser une carte des fonctions cognitives beaucoup plus détaillée, car chaque trouble peut alors être interprété comme une déficience d'une ou de plusieurs fonctions cognitives, qui sont présentes dans le comportement normal.

L'approche cognitive des dysfonctionnements de la cognition nous renseigne donc sur le comportement cognitif normal ; elle se présente comme un guide pour l'investigation du comportement normal.

L'approche cognitive permet aussi considérer les troubles psychiatriques en termes de perturbations des processus cognitifs, et, par là, de construire des modèles explicatifs, et, surtout, de bâtir une nosologie des affections psychiatriques fondée sur des symptômes cognitifs plus faciles à repérer et plus précis que les symptômes affectifs. Une des conséquences attendues serait une nouvelle classification des maladies psychiatriques. Une autre serait d'avoir des modèles explicatifs susceptibles à la fois de faire l'objet de simulations et d'être confrontés aux données. Dernière conséquence pratique, l'étude des déficiences de telle ou telle fonction cognitive pourrait se conjuguer à l'étude des mécanismes de compensation ou de suppléance par lesquels d'autres fonctions cognitives prennent partiellement ou totalement en charge l'activité cognitive qui était dévolue à la fonction déficiente. La rééducation des malades ayant subi des traumatismes crâniens ou étant atteints d'autres affections neurologiques pourrait en être grandement améliorée.

Sur un plan théorique, cela permettrait de penser les rapports entre les différents aspects de la personnalité, ce qui réconcilierait la psychologie cognitive et la psychologie globale du sujet fondée aujourd'hui, en France surtout, sur une psychologie de l'émotion et de l'affectivité. Des phénomènes complexes, où le neurologique semble interagir avec le psychique, pourraient y trouver des modèles d'explication. Ainsi en est-il pour la rééducation des traumatisés crâniens qui est plus ou moins rapide selon qu'il y a ou non prétexte à investigation judiciaire et à réparation. Plus généralement, tout ce qui a trait à la psychologie de la santé en tirerait bénéfice.
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